Le Parlement mongol a adopté en avril 2021 une nouvelle loi sur les défenseur·e·s des droits humains, faisant de la Mongolie le premier pays d’Asie à offrir un cadre de protection à ceux·celles qui dénoncent les violations des droits humains et militent pour le changement. La loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2021 et Sukhgerel Dugersuren s’est assise avec nous pour répondre à quelques questions sur ce qui se passe actuellement sur le terrain. Elle est la directrice d’OT Watch Mongolie et a été fortement impliquée dans le processus qui a conduit à l’adoption de cette loi. Lors de lancement de la plateforme de l’Observatoire Focus, elle a donné quelques aperçus et leçons apprises sur la façon dont cette loi a vu le jour. Aujourd’hui, nous avons souhaité la rencontrer pour en savoir plus sur sa mise en œuvre et voir si cette loi constitue un modèle pour la région et même au-delà.
Que constate-t-on depuis l’entrée en vigueur de la loi en juillet 2021 ?
Il faut savoir d’abord que la date du 1er juillet est historique, le gouvernement ayant tiré et tué des manifestants électoraux en 2008.
Depuis juillet dernier, il n’y a pas eu de changements significatifs ou visibles dans le comportement des autorités gouvernementales, si ce n’est qu’elles ont fait de la publicité ou beaucoup de relations publiques positives pour être devenues le premier pays d’Asie à adopter une loi sur les défenseurs des droits humains. Le gouvernement a mis en place une campagne se concentrant davantage sur les aspects positifs de la loi, en contraste avec les critiques des défenseurs des droits humains qui plaident pour la suppression de certaines dispositions problématiques.
Une brève enquête menée en novembre 2021 auprès d’un groupe mixte de personnes n’appartenant pas à la société civile révèle que la loi est peu connue et que l’espoir qu’elle fasse une différence prédomine dans les réponses.
La clause 8.1.3 interdisant aux défenseur·e·s des droits humains de » porter atteinte aux intérêts légitimes et à la réputation commerciale d’autrui » et l’article 7.2 interdisant aux défenseur·e·s des droits humains de rechercher et de recevoir des ressources au niveau local ont été soulignés comme étant les plus problématiques. Existe-t-il des cas dans lesquels la loi a été utilisée contre les défenseur·e·s des droits humains ?
Pas encore. Je suppose qu’étant donné que le gouvernement mongol est encore en train de construire son image internationale en tant que premier pays d’Asie à adopter une loi sur la protection des défenseur·e·s des droits humains, il ne déclenchera pas ces dispositions tout de suite. Notre argument est que ces dispositions existent dans d’autres lois du code pénal et du code civil, et qu’il n’est donc pas nécessaire de les citer spécifiquement dans cette loi. Elles agissent simplement comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête des défenseur·e·s des droits humains. Le ministère de la Justice explique que les dispositions de l’article 7.2 sont dues à la recommandation 8 du GAFI sur les organisations à but non lucratif.
Est-ce que les défenseur·e·s des droits humains connaissent la loi, même parmi les minorités et les populations rurales ?
Peu d’initiatives ont été prises en matière de véritable sensibilisation ou de facilitation de l’accès aux effets positifs de la loi, en particulier dans les zones rurales. Parmi ceux·celles qui sont au courant, certain·e·s craignent qu’avec les restrictions de COVID-19, ils·elles ne pourront plus accéder à aucun soutien de sitôt.
Certains défenseur·e·s des droits humains, en particulier ceux qui courent un risque élevé pour avoir lutté pour les droits fonciers et environnementaux dans les zones rurales, pensent qu’il est préférable que cette loi n’existe pas. Ils·elles considèrent que la clause 8.1.3 et l’article 7.2 sont beaucoup plus forts que l’intention de la loi qui est proclamée, causant plus de mal que de bien. Mais, à mon avis, les défenseur·e·s des droits humains doivent se rassembler pour plaider en faveur d’une réforme.
Quelle est l’opinion de la plupart des juges et des autorités de l’État sur cette loi ? Savent-ils·elles qu’elle existe et comment ils·elles devraient l’appliquer ?
Dans ce pays, il n’y a jamais vraiment eu de culture forte de défense des droits humains et de protection des défenseur·e·s des droits humains. Comme vous le savez, en tant que société post-socialiste, les droits humains n’ont jamais été la pierre angulaire des politiques et des pratiques de l’Etat. Par conséquent, il est plus probable que le système judiciaire utilise ces dispositions contre les défenseur·e·s des droits humains plutôt que de les protéger en utilisant les dispositions positives de la loi. Cependant, les défenseur·e·s des droits humains et la société civile cherchent maintenant à obtenir des informations du gouvernement sur la mise en œuvre des dispositions de la loi qui exigent que le gouvernement développe des procédures et assure la formation de son personnel.
On dirait que les principales parties prenantes sont encore relativement peu sensibilisées à la manière d’appliquer cette loi et de prendre des mesures concrètes pour protéger les défenseur·e·s des droits humains. Êtes-vous d’accord ?
Oui, même lorsqu’il s’agit d’engagements venant du sommet. Le président du Parlement s’est exprimé à plusieurs reprises sur le fait que le gouvernement mongol est désormais favorable aux droits humains, mais le public se tourne généralement vers le président pour lui témoigner son soutien. Nous avons besoin d’une déclaration ou d’un engagement de haut niveau de la part du président pour soutenir également les défenseur·e·s des droits humains.
La Mongolie est en train de terminer l’étude de base sur les entreprises et les droits humains, après une longue phase de consultation dans tout le pays. Dans le cadre de ce processus, des informations sont fournies sur la loi relative aux défenseur·e·s des droits humains. Une fois que la loi sera mieux comprise, il y aura, espérons-le, davantage d’actions et d’activités pour mettre en œuvre les dispositions positives de cette loi. La seule avancée positive que nous ayons constatée est que le gouvernement partage certaines informations. Par exemple, une infographie a été diffusée dans les médias pour expliquer la loi, en soulignant uniquement les aspects positifs bien sûr. Mais il n’y a pas encore eu de réalignement budgétaire de la part du gouvernement pour garantir que davantage de fonds et de ressources soient alloués là où ils sont nécessaires. Nous devons certainement nous assurer que la Commission des droits humains dispose d’un budget suffisant pour développer et faire fonctionner le mécanisme de protection des défenseur·e·s des droits humains stipulé dans les articles 10 et 11 de la loi sur les défenseur·e·s des droits humains.
Quelles sont les ressources dont peuvent se servir les défenseur·e·s des droits humains en ce moment ?
Les fonds qui soutiennent le travail en faveur des droits humains proviennent tous de sources étrangères et internationales – Open Society Foundation, Amnesty International (Mongolie), les programmes de l’Union européenne en faveur des droits humains, etc – mais ils sont davantage axés sur la plaidoyer politique, le suivi et la rédaction de rapports. En termes d’aide aux défenseur·e·s des droits humains en danger, la Commission nationale des droits humains dispose d’un site Internet, qui comporte un numéro que les défenseur·e·s peuvent appeler s’ils·elles ont besoin d’aide. Il existe également un centre national contre la violence, principalement axé sur la violence domestique et sexiste, auquel les personnes peuvent faire appel pour obtenir de l’aide. OT Watch dispose des ressources nécessaires pour créer une page web qui regroupera toutes les informations concernant le soutien de la société civile, ainsi que les ressources nationales et internationales. Mais à cause de COVID-19, nous avons connu quelques retards. Nous espérons que l’État participera à nos efforts, car il apporte son soutien au Lifeline Embattled CSO Assistance Fund au niveau international.
En 2022, quelles sont vos attentes à l’égard de l’État, en particulier alors que nous bénéficions encore de cette impulsion et de cette dynamique positives du fait que la Mongolie est le premier pays asiatique à adopter une telle loi ?
La Mongolie est forte lorsqu’il s’agit d’adopter des lois, mais elles les oublie par la suite. Selon la définition des consultant·e·s internationa·ux·les, elle dispose d’un bon corpus législatif mais pas de mise en œuvre. Les défenseur·e·s des droits humains devront profiter de cette situation pour faire pression en faveur de développements tangibles. Il est également important que nous établissions des techniques de suivi appropriées pour la façon dont cette loi est appliquée, en particulier en examinant les changements de comportement des autorités gouvernementales et des forces de l’ordre concernant leurs attitudes et leurs interactions avec les DDH. Par exemple, en contrôlant les formations des forces de police, en s’assurant que ces lois sont expliquées au pouvoir judiciaire, etc. Il faut également s’assurer qu’il y ait le budget nécessaire pour soutenir un mécanisme de protection indépendant ainsi que toutes les autres agences qui seront impliquées dans la protection des défenseur·e·s des droits humains. Il y a une disposition spécifique qui parle de la façon dont le gouvernement doit agir, donc nous pouvons l’utiliser pour faire pression en faveur du mouvement.
De son côté, la société civile suivra de près l’évolution de ces deux dispositions problématiques pour détecter un éventuel cas qui nous permettrait de mener une campagne plus vigoureuse à leur encontre.
Qu’espérez-vous changer actuellement, et quel serait votre appel à l’action à la communauté internationale pour vous aider à y parvenir ?
J’espère que tous les défenseur·e·s des droits humains adopteront cette loi et feront le meilleur usage des dispositions positives qu’elle prévoit. Nous devons continuer à faire campagne contre les dispositions nuisibles et à risque, mais son existence est un grand progrès. La communauté internationale peut jouer un rôle important en conseillant le gouvernement mongol sur la manière de mettre en œuvre la loi, de développer des procédures dans des mesures tangibles pour utiliser la loi et pour prévenir les actes illégaux contre les défenseurs des droits humains.