Afghanistan : Appel conjoint à la fin immédiate des attaques contre les défenseur·e·s des droits humains et nécessité de les protéger et de leur demander des comptes
Les menaces, le harcèlement, les actes d’intimidation et les attaques contre les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s, les journalistes et les professionnel·le·s des médias en Afghanistan doivent cesser – ont déclaré les organisations internationales de défense des droits humains soussignées.
De septembre 2020 à mai 2021, un total de 17 défenseur·e·s des droits humains ont été tué·e·s, dont neuf journalistes, selon les informations compilées par le Comité afghan des défenseurs des droits humains (AHRDC). Neuf de ces personnes ont été tuées au cours des cinq premiers mois de cette année. Au cours de cette période, plus de 200 défenseur·e·s des droits humains et représentant·e·s des médias ont signalé au AHRDC et au Comité pour la sécurité des journalistes en Afghanistan qu’il·elle·s recevaient de graves menaces. Un rapport publié par la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) en février 2021, note que 65 praticien·ne·s des médias et défenseur·e·s des droits humains ont été tué·e·s depuis 2018. Dans la plupart de ces cas, aucun·e auteur·e n’a été tenu·e de rendre des comptes. Ces attaques visent à faire taire la dissidence pacifique et les personnes qui travaillent sur les droits humains, en particulier les droits des femmes, ainsi que celles qui cherchent à obtenir justice et à faire rendre des comptes pour les violations des droits humains. L’escalade des attaques contre les défenseur·e·s des droits humains, les militant·e·s et les journalistes semble être liée au processus de paix en cours entre le gouvernement afghan, les États-Unis et les talibans.
Il est essentiel de défendre et de privilégier la liberté d’expression en cette période critique pour l’Afghanistan et son avenir. Les progrès réalisés dans la création d’un espace sûr pour les défenseur·e·s des droits humains, en particulier les femmes défenseures des droits humains et les journalistes, sont en jeu avec l’annonce du retrait total des forces des États-Unis et de l’OTAN d’Afghanistan d’ici le 11 septembre 2021. L’attentat qui a visé des écoliers à Kaboul le 8 mai est un rappel dévastateur de l’escalade de la violence contre les civils, en particulier contre les femmes et les filles. La communauté internationale, en tant que partie prenante des processus politiques actuels, y compris les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Union européenne et les États membres de l’OTAN, doit, en vertu du droit international des droits humains, du droit humanitaire et du droit pénal, protéger les droits de tous·te·s, en particulier celleux qui sont pris pour cible, comme les défenseur·e·s des droits humains et les militant·e·s de la société civile. Cependant, avec l’annonce d’un retrait inconditionnel et l’absence de progrès dans le processus de paix, la promotion et la protection des droits des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes ne semblent pas être une priorité.
Le manque de respect du droit international humanitaire et l’absence d’obligation de rendre des comptes pour les attaques contre les défenseur·e·s et les militant·e·s des droits humains n’ont fait qu’accroître le danger pour les défenseur·e·s et enhardir les auteur·e·s de ces attaques. Les autorités afghanes et la communauté internationale doivent appeler toutes les parties à cesser d’utiliser des cibles civiles à des fins militaires, à préserver les progrès réalisés en matière de droits humains au cours des deux dernières décennies et à veiller à ce qu’ils ne soient pas réduits à la suite des négociations en cours.
Les membres de la société civile, les femmes défenseures des droits humains et les journalistes sont systématiquement menacé·e·s et attaqué·e·s pour le travail qu’il·elle·s accomplissent. Celleux qui travaillent en dehors de la capitale sont particulièrement exposé·e·s à de graves menaces en raison du manque de soutien disponible à Kaboul et par le biais de certains réseaux internationaux et ambassades. Nombre de ces défenseur·e·s ont dû se réinstaller en Afghanistan et, dans certains cas, quitter temporairement le pays avec leur famille pour des raisons de sécurité. Les défenseur·e·s craignent de dénoncer publiquement les attaques dont il·elle·s font l’objet en raison des inquiétudes concernant la sécurité et la pérennité de leur travail. Cela démontre l’immense pression sous laquelle les défenseur·e·s, militant·e·s et journalistes afghans sont contraint·e·s de vivre et de travailler.
Les mécanismes publics de protection des défenseur·e·s, y compris la Commission conjointe pour la protection des défenseur·e·s des droits humains récemment nommée, ne sont pas encore opérationnels. Le gouvernement n’a pas répondu de manière adéquate aux plaintes pour menaces et aux signaux d’alerte précoce d’attaques contre les défenseur·e·s des droits humains et les journalistes. Les défenseur·e·s sont confrontés à un choix impossible : trouver un équilibre entre leur engagement à travailler dans leur pays et les menaces qui pèsent sur elleux et leur famille. Nous appelons le gouvernement afghan à prendre davantage de responsabilités pour assurer la sécurité des défenseur·e·s, des militant·e·s et des journalistes, et à mettre fin à l’impunité pour les attaques dont il·elle·s sont victimes.
Les femmes défenseures des droits humains, les journalistes et les groupes minoritaires en Afghanistan ont été parmi les plus touché·e·s. De nombreuses femmes défenseures ont été contraintes de se déplacer à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, d’arrêter leur travail ou de rester chez elles. Les attaques contre les femmes défenseures ont inclus le harcèlement des membres de la famille et des collègues. Les femmes qui font campagne depuis des années pour l’égalité des droits et la participation égale aux espaces publics, y compris au processus de paix, se sont retrouvées attaquées en représailles de leur travail.
Le gouvernement afghan, ainsi que les parties prenantes et les facilitateurs internationaux du processus de paix en cours, doivent assumer la responsabilité, par leur conduite et leur engagement dans le pays, de mettre fin à l’augmentation des attaques violentes contre les défenseur·e·s des droits humains. Les groupes de défense des droits et les Nations unies n’ont cessé d’appeler à la participation effective des représentant·e·s de la société civile, en particulier des femmes défenseures des droits humains, au processus de paix, étant donné son impact considérable sur la sécurité sur le terrain. Malgré cela, et bien que les groupes de défense des droits et les femmes défenseures aient travaillé sans relâche pour s’engager dans le processus de paix, le sommet de Moscou de mars 2021 n’a pas vu de représentation effective des femmes. Un processus de paix, ou une négociation, qui ne parvient pas à inclure des représentant·e·s des femmes de manière adéquate et efficace, et qui s’engage parallèlement avec les talibans sans critères de référence en matière de droits humains, compromet la sécurité des femmes et les progrès réalisés en matière de droits humains au cours des dernières années. Il faut faire beaucoup plus pour que le processus de paix tienne compte des menaces, du harcèlement, des intimidations et des attaques qui se produisent dans le pays et pour qu’il n’exacerbe pas les souffrances de la population.
La crise qui se déroule dans le pays exige un engagement fort et un soutien direct pour que les défenseur·e·s afghan·e·s puissent travailler et vivre dans la sécurité et la dignité. Elle exige de la communauté internationale qu’elle soutienne de manière proactive les défenseur·e·s qui ont œuvré à la promotion et à la protection des droits humains, au prix d’un lourd tribut personnel. En tant qu’organisations de défense des droits de l’homme axées sur la protection des défenseur·e·s des droits humains, nous demandons la mise en place d’un mécanisme de protection efficace pour les défenseur·e·s des droits humains en Afghanistan. Nous appelons donc le gouvernement afghan et les acteur·rice·s internationaux·ales concerné·e·s à prendre les mesures suivantes :
La Commission conjointe nouvellement établie et dirigée par le gouvernement doit atteindre ses objectifs afin de fournir une protection efficace aux défenseur·e·s des droits humains en danger. Nous demandons l’accès à l’information sur les mesures que la Commission conjointe a prises jusqu’à présent pour fournir une protection immédiate aux défenseur·e·s, enquêter sur les menaces dont il·elle·s font l’objet et traduire les auteur·e·s présumés en justice.
Veillez à ce que les normes relatives aux droits humains et la protection des défenseur·e·s des droits humains soient présentées comme des critères essentiels de tout processus de paix durable. Les talibans et les autres personnes qui s’en prennent aux civils et aux défenseur·e·s des droits humains doivent immédiatement mettre fin aux violences et donner la priorité aux pourparlers de paix intra-afghans comme moyen de garantir une paix durable.
Offrir aux défenseur·e·s des droits humains un soutien pratique immédiat sur le terrain à tous les niveaux, y compris par les voies diplomatiques et politiques.
Veiller activement à ce que justice soit rendue et à ce qu’il soit possible d’obtenir réparation pour les violences et les menaces dont sont victimes les défenseur·e·s, notamment de la part des autorités locales et des forces de l’ordre, afin de garantir une réponse rapide aux menaces pour la sécurité.
Mettre en place un mécanisme de contrôle national et un mécanisme impartial et indépendant au niveau international pour enquêter sur les meurtres de défenseur·e·s des droits humains et de journalistes, en clarifiant les circonstances dans lesquelles les défenseur·e·s ont été tué·e·s et en traduisant rapidement les responsables en justice.
Collaborer avec les défenseur·e·s des droits humains et les organisations de la société civile pour concevoir et mettre en œuvre des politiques de protection solides, en tenant compte de la dimension de genre et d’une approche intersectionnelle.
Assurer une représentation effective des défenseur·e·s des droits humains, en particulier des femmes, dans tout processus de paix ayant une incidence sur leur sécurité, y compris, mais pas uniquement, le processus de paix. La participation doit inclure des garanties de sécurité, et une représentation effective et équitable des points de vue.